temporal conflict / conflit temporel

Twitter et l'expérience de névrose temporelle

Je me suis dernièrement reconnecté à mon compte Twitter, créé il y a cinq ans et jamais utilisé depuis. Comme je suis constamment à la recherche de nouvelles sources d'informations quotidiennes, j'ai pensé qu'une utilisation plus systématique de ce réseau social pourrait être pertinente. Je voulais également expérimenter et voir comment je pourrais utiliser cette plateforme pour garder une trace des idées qui émergent de mes lectures en ligne, jour après jour. L'expérience ne fait que commencer (vous pouvez consulter mon compte @alhadeffjones)

Alors que j'explore et découvre de plus en plus de tweets, et que de plus en plus de personnes partagent leurs contributions quotidiennement, je ressens des sentiments mitigés qui semblent être assez courants de nos jours : l'excitation de découvrir de nouvelles personnes (mais pas nécessairement de nouvelles idées) et le sentiment déprimant que le fait de suivre le rythme des réseaux sociaux va à l'encontre d'autres rythmes de ma vie (tels que les rythmes de la vie familiale, intellectuelle et professionnelle). Ce sentiment en soi n'est pas particulièrement original ; il révèle sans aucun doute une ambivalence plus large à l'égard des technologies actuelles de l'information et de la communication, ambivalences déjà bien documentées dans les médias.

L'ambivalence d'un medium

Ce qui me semble pertinent, à ce stade de mon expérimentation, c'est d'essayer de maintenir cette tension et d'interroger les significations plus profondes dont elle est porteuse. D'une part, le besoin de nouveauté, d'idées originales, de connexions et l'excitation des connexions instantanées ; d'autre part, la nécessité de consolider ce qui est déjà là, de se préserver et d’envisager une perspective à long terme, inscrite dans la durée et dans un processus de développement tout au long de la vie.

Le problème n'est pas tant de choisir entre l'un ou l'autre. Il s'agit plutôt d'apprendre à réguler les tensions qui demeurent entre ouverture et fermeture, instantanéité et durée, excitation et ennui, etc. Ce sont là des "motifs de dualité" intéressants (Bachelard, 1950) qui sont constitutifs des rythmes quotidiens de notre vie (parfois nous ressentons le besoin d'être connectés ou stimulés, d'autres fois nous préférons rester seuls ou tranquilles).

Définir la névrose temporelle

La capacité de réguler la façon dont nous vivons ces différents aspects de la vie quotidienne ne va pas de soi. Douleurs et souffrances peuvent naître de la difficulté à gérer de telles ambivalences lorsqu'elles prennent des proportions trop importantes (p.ex., des comportements compulsifs). Pour cette raison, il peut être important de nommer le phénomène caractérisé par la difficulté à réguler de telles tensions.

Comme je le décris dans Time and the Rhythms of Emancipatory Education (Alhadeff-Jones, 2017), Gaston Pineau (2000) utilise le terme "schizochronie" (du grec : schizo- signifiant divisé ; divisé ; et chronos, temps) pour exprimer les tensions ressenties lorsqu’on est confronté à des temporalités conflictuelles (p.ex., famille versus temps de travail, rythmes biologiques versus rythmes sociaux), ou lorsqu’on se sent dépassé par des rythmes qui nous sont imposés.

Les tensions ressenties lors de l'utilisation de réseaux sociaux, tels que Twitter, sont de nature différente. Je pense qu'il peut être pertinent d'utiliser l'expression "névrose temporelle", en référence à la signification donnée à cette expression en psychanalyse, pour aller plus loin dans la description de tels phénomènes. La notion de "névrose temporelle" souligne non seulement la nature conflictuelle, mais aussi ambivalente des tensions temporelles qui peuvent être vécues dans la vie quotidienne, par exemple à travers des comportements spécifiques vécus comme symptomatiques. La névrose temporelle constitue ainsi une expression spécifique des "conflits temporels" vécus (Alhadeff-Jones, 2017).

Révéler nos ambivalences face à l'expérience du temps

Si la notion de schizochronie suggère de profonds clivages temporels, l'idée de névrose temporelle renvoie plutôt à l'état de tension et de conflictualité intérieure que l’on peut ressentir lorsque l’on considère la nature complémentaire, antagoniste et contradictoire des rythmes constitutifs de nos activités. La névrose temporelle s'exprime à travers ces moments où l'on se demande si l'on doit suivre un rythme d'activité spécifique (p.ex., consulter son courrier électronique ou son flux Twitter), en changer la fréquence (pour ralentir ou accélérer la façon dont on les consulte), ou plus radicalement introduire une sorte de rupture dans ces habitudes. Le terme de névrose suggère donc un conflit entre les pressions venant de l'intérieur (p.ex., le désir, la répulsion) et de l'extérieur (p.ex., les attentes collectives, les exigences imposées).

La névrose temporelle ne doit pas être conçue strictement comme un phénomène psychologique révélant des ambivalences personnelles ou des conflits internes à l’individu. Elle doit plutôt être conçue comme étant socialement produite par l'expérience quotidienne de dilemmes temporels qui nous sont imposés par les institutions au sein desquelles nous évoluons (famille, éducation, travail, etc.). Dans cette perspective, le développement actuel des médias sociaux ne fait que réactiver des dilemmes temporels qui étaient présents plus tôt dans l'histoire de notre société. La névrose temporelle représente donc une "mise à jour" d’anciennes formes d'ambivalences symptomatiques.

Maintenant que l'ambivalence est étiquetée, la question qui demeure est de déterminer comment les personnes et les institutions apprennent à gérer de tels dilemmes et conflits intériorisés. Comment apprenons-nous à gérer nos propres ambivalences face aux coûts et aux avantages des nouvelles technologies et aux rythmes qu'elles nous imposent ? Comment apprenons-nous à éviter d'être captifs d'une temporalité hégémonique (telle que celle qui nous enferme parfois dans l’utilisation compulsive des médias sociaux) et à maintenir des rythmes d'activité souples ?

Certains choisissent d'arrêter d'utiliser ce type de plateforme, d'autres continuent à lutter... et vous ?


Citer cet article: Alhadeff-Jones, M. (2017, septembre 18). Twitter et l'expérience de névrose temporelle. Rhythmic Intelligence. http://www.rhythmicintelligence.org/blog/2017/9/18/twitter-experience-nvrose-temporelle

Twitter and the experience of temporal neurosis

Recently, I reconnected to my twitter account, created five years ago and never used since then. As I am constantly looking for new sources of daily news, I thought that using Twitter more systematically could be relevant (although I have to confess, I am still struggling with it...) I also wanted to experiment and see how I could use this platform for keeping track of everyday insights emerging through my online readings. The experiment is just starting (you can check my account @alhadeffjones)

As I explore and discover more tweets and more people tweeting everyday, I am experiencing mixed feelings that seem to be quite common nowadays: the excitement of discovering new people (but not necessary new ideas) and the depressing feeling that keeping up with the pace of social media runs against other rhythms of my life (e.g., the pace of family, intellectual and working lives). This feeling in itself is not particularly original; it definitely reveals a broader ambivalence about current technologies of information and communication, already well documented in the media.

The ambivalence of a medium

What seems relevant to me, at this stage of my experimentation, is to try to keep this tension alive and to question the deeper meanings it carries. On one hand, the need for novelty, fresh insights, connections and the excitement of instantaneous connections; on the other hand, the need to consolidate what is already there, to preserve oneself, and to embrace the duration of long term perspective and lifelong development.

The problem is not so much about choosing between one or the other. The issue would be rather to learn how to regulate between openness and closure, instantaneity and duration, excitement and boredom, etc. Those are interesting "motifs de dualité" (Bachelard, 1950) that are constitutive of the everyday rhythms of our lives (sometimes we feel the need to be connected or stimulated, other times we prefer to remain on our own or quiet).

Defining temporal neurosis

Being able to regulate the way we relate to those aspects of the everyday life cannot be taken for granted. Pain and suffering can emerge from the difficulty to manage such ambivalences when they take larger proportions (e.g., compulsive behaviors). For that reason, it may be important to name the phenomenon characterized by the difficulty to regulate such tensions.

As I describe it in Time and the Rhythms of Emancipatory Education (Alhadeff-Jones, 2017), Gaston Pineau (2000) refers to the term "schizochrony" (from the Greek: schizo- meaning split; divided; and chronos, time) to express the tensions people experience when confronted with conflicting temporalities (e.g., family versus working time, biological versus social rhythms), or when we feel subjugated by rhythms that are imposed on us.

The tensions experienced when using social networks, such as Twitter, are of different nature. I think it may be relevant to use the expression "temporal neurosis", in allusion to the meaning given to this expression in psychoanalysis, to go further in the description of such phenomena. The notion of "temporal neurosis" stresses not only the conflicting, but also the ambivalent nature of the temporal tensions that may be experienced in the everyday life, for instance through specific behaviors experienced as symptomatic. Temporal neurosis constitutes a specific expression of "temporal conflicts" (Alhadeff-Jones, 2017).

Revealing our ambivalences toward the experience of time

If the notion of schizochrony suggests deep temporal clivages, the idea of temporal neurosis would rather refers to the state of tension and inner conflictuality that people may experience when considering the complementary, antagonistic, and contradictory nature of the rhythms that are constitutive of their own activity. Temporal neurosis is expressed by those moments when we wonder whether we should keep up with a specific pattern of activity (e.g., checking one's email or Twitter feed), change its frequency (to slow down or to accelerate the way one relates to it), or more radically introduce some kind of rupture in such habits. The term neurosis would suggest therefore a conflict between pressures coming from within (e.g., desire, repulsion) and from the outside (e.g., collective expectations, requirements).

Temporal neurosis should not be conceived strictly as a psychological phenomenon revealing personal ambivalences or inner conflicts. It should rather be conceived as socially produced by the everyday experience of temporal dilemmas imposed on us by the institutions we live through (family, education, work, etc.) From that perspective, the current development of social media is just reactivating temporal dilemmas that have been present earlier in the history of our society. Temporal neurosis represents therefore an 'update' of older forms of symptomatic ambivalences.

Now that the ambivalence is labelled, the question that remains is how do people and institutions learn to deal with such dilemmas and internalized conflicts? How do we learn to manage our own ambivalences toward the costs and benefits of new technologies and the rhythms they impose on us? How do we learn to avoid being captive of an hegemonic temporality (e.g., being stuck in social media) and maintain flexible rhythms of activity?

Some choose to stop using the platform, other keep struggling... what about you?


Cite this article: Alhadeff-Jones, M. (2017, September 18). Twitter and the experience of temporal neurosis. Rhythmic Intelligence. http://www.rhythmicintelligence.org/blog/2017/9/18/twitter-and-the-experience-of-temporal-neurosis

Apprentissages transformateurs et expérience de dilemmes rythmiques

Paterson's Land, University of Edinburgh (Photography: Michel Alhadeff-Jones, 2017)

Paterson's Land, University of Edinburgh (Photography: Michel Alhadeff-Jones, 2017)

J'étais récemment à l’Université d’Édimbourg pour participer à une conférence d'une journée sur la théorie de l'apprentissage transformateur (Transformative Learning Theory and Praxis : New and Old Perspectives) organisée par l'Institute for Academic Development. D'un point de vue rythmique, les documents présentés et les discussions qui ont suivi ont suscité de nombreuses réflexions très intéressantes. Rétrospectivement, il me semble qu'il y avait un fil invisible entre la plupart des communications présentées : s'engager à favoriser un apprentissage transformateur peut amener les formateurs et les apprenants à expérimenter et à remettre en question des formes spécifiques de dilemmes rythmiques.

Dissonance rythmique entre différentes cultures organisationnelles

J'ai commencé ma communication intitulée "The Rhythms of Transformative Learning" en partageant avec le public la "dissonance rythmique" dont j’ai fait l’expérience lorsque j'ai enseigné aux États-Unis pour la première fois. Comme je l'ai décrit ailleurs (Alhadeff-Jones, 2017, p.1, ma traduction) :

"En 2004, lorsque j'ai déménagé à New York et conçu mon premier séminaire sur les histoires de la vie à l'Université de Columbia, j'ai dû adapter un processus qui se déroulait auparavant sur 30 séances [en Suisse] de manière à ce qu'il s'inscrive sur une période de cinq semaines. Il m'a fallu diviser le nombre d'heures de cours par deux. La compression - certains l'appelleraient une accélération - ne concernait pas seulement le temps passé avec les étudiants ; elle affectait également la fréquence de nos rencontres et le processus d'apprentissage qui se déroulait entre chaque session".

J'ai vécu cet épisode comme une source de dissonance pour deux raisons. Premièrement, parce qu'il remettait en question la façon dont je concevais mon activité d'enseignement universitaire sur la base de mon activité en Suisse. Deuxièmement, parce qu'il m'a confronté aux questions politiques, économiques et psychosociologiques soulevées par l'exigence d'"accélérer" le processus d'apprentissage au sein même de mes cours.

Une double contrainte temporelle au sein des attentes institutionnelles

Dans sa présentation sur "l'apprentissage à fort impact dans l'enseignement supérieur" (High Impact Learning in Higher Education) Kris Acheson-Clair (avec J.D. Dirkx et C.N. Shealy) a également exprimé certains des dilemmes rencontrés dans le domaine du développement professionnel à l’université. Cette présentation a révélé ce que j'ai identifié comme une "double contrainte temporelle" (Alhadeff-Jones, 2017, p.104), c'est-à-dire une contrainte temporelle façonnée par des contradictions tacites. Dans le cas présenté par Acheson-Clair, d'une part, l'institution (c'est-à-dire l'université) exige que les programmes de formation mis en œuvre présentent un "apprentissage à fort impact", c'est-à-dire un apprentissage qui participe à la transformation de l'apprenant, principalement entendu comme un processus qui devrait contribuer à son employabilité et à son efficacité dans les tâches qui doivent être accomplies. D'autre part, l'institution exige que cet apprentissage à fort impact soit mesurable à court terme (c'est-à-dire après la formation mise en œuvre, ou après les possibilités d'apprentissage offertes, comme un voyage à l'étranger). La dissonance apparaît inscrite entre deux exigences (transformation et évaluation/responsabilisation) dont les temporalités sont en contradiction l'une avec l'autre : la première peut être difficile à anticiper, car elle peut nécessiter une longue durée de traitement par l'apprenant ; la seconde s'inscrit dans une temporalité fixe, prescrite par l'organisation et orientée vers le court terme.

Inadéquation rythmique entre la nature de la tâche et les habitudes des participants

Sarah Moore, dans sa présentation sur "l'apprentissage assisté par la technologie" (technology-enhanced learning) et Daphne Loads dans sa communication sur les "lectures collaboratives approfondies" (collaborative close readings) (basées sur l'utilisation de la poésie et d'autres formes de textes) dans le cadre du développement professionnel, ont toutes deux fourni des exemples d'activités d'apprentissage potentiellement ressenties comme déstabilisantes pour les participants concernés (en général, des professeurs ou des chargés de cours universitaires). La première a illustré les manières dont l'utilisation des nouvelles technologies dans l’enseignement universitaire peut être vécue comme une expérience déstabilisante. La seconde a montré comment la lecture de règlements ou d'articles universitaires, suivant des modalités proches de celles utilisées dans les études littératures, constitue également une pratique qui remet potentiellement en question les hypothèses que l'on a sur la signification de l'enseignement ou de la recherche à l’université. Dans les deux cas, il m'est apparu qu'une partie de la dissonance qui a pu être ressentie par les participants est liée au fait que l'activité promue (p.ex., l'utilisation de la technologie en temps réel ou l'exercice de la lecture lente) semble perturber le rythme habituel associé à l'activité professionnelle (i.e., l’enseignement ou la recherche). Une telle perturbation peut ainsi provoquer de l'anxiété (comment faire face à l'exigence qu'implique l'utilisation de nouvelles technologies ?) ou de l'impatience (comment la lecture de poésie peut contribuer à mes besoins pratiques quotidiens ?)

Expérience de dilemmes rythmiques et apprentissages transformateurs

La dissonance rythmique, la double contrainte temporelle et l'inadéquation rythmique, représentent trois formes (parmi d'autres) de dilemmes rythmiques. Ils confrontent les formateurs et les apprenants à des exigences temporelles complémentaires, antagonistes et contradictoires dont la complexité peut apparaître à première vue comme déstabilisante. D'une part, en accord avec la théorie de l'apprentissage transformateur de Mezirow, on peut supposer que l'expérience de tels dilemmes peut déclencher des processus de transformation. D'autre part, il faut admettre que lorsque de tels dilemmes rythmiques restent tacites ou insolubles, les contradictions qu'ils révèlent peuvent devenir une source de comportements dysfonctionnels ou de frustration.

Comment faire des dilemmes rythmiques une source d'apprentissage significative ?

Après ma présentation, un participant m'a posé la question : "Qu'avez-vous appris de votre expérience de dissonance rythmique aux États-Unis et comment vous en êtes-vous accommodé ?” Une telle question est cruciale. Rétrospectivement, il me semble qu'il y a au moins trois aspects clés à considérer :

  1. C'est peut-être évident, mais il faut d'abord distinguer le type d'apprentissage qui peut être attendu en regard du calendrier de formation, et les apprentissages qui vont au-delà de ce cadre. Certains apprentissages très significatifs peuvent se produire presque instantanément, alors que d'autres nécessitent un effort soutenu (p.ex., la réflexivité, le dialogue). Cela n'est pas toujours aisé à déterminer à l'avance et cela peut même devenir en soi un sujet de discussion entre les apprenants et la personne en charge de la formation.

  2. Il semble également crucial de reconnaître les limites temporelles qui caractérisent le contexte d'apprentissage, afin de s'assurer qu'il n'y a pas de malentendu avec les participants sur ce qui peut réellement être accompli dans les limites temporelles imparties à la formation.

  3. Il est essentiel que la personne en charge de la formation sensibilise les participants aux dilemmes rythmiques qui déterminent le cadre d'apprentissage, afin d'attirer leur attention sur cette dimension de la formation.

  4. Dans certains cas, il peut également être nécessaire d'envisager une remise en question du cadre temporel de la formation lui-même, afin de l’adapter aux objectifs d'apprentissage fixés par l'institution. Ce point est probablement le plus sensible, car il suggère que les formateurs (et les apprenants) soient prêts à remettre en cause le statu quo temporel afin de défendre des rythmes de formation alternatifs.

Personnellement, il m’arrive d’avoir recours à la métaphore du vaccin pour décrire le processus d'apprentissage. Chaque fois que la durée de la formation reste limitée, mon objectif est de faire germer certaines idées, sachant que si les apprenants sont prêts à y avoir recours, ils pourront peut-être faire une “piqure de rappel" ultérieurement. Ce qui devient alors essentiel, c'est de s'assurer qu'il y a la possibilité de maintenir le dialogue avec les apprenants par la suite. Ainsi, on part très tôt du principe que l'apprentissage se fait à travers une forme de répétition qui se produit sur le long cours. L'enjeu est alors de fournir l'occasion de déployer la réflexion et le dialogue au-delà du cadre formel associé à une formation spécifique.


Citer cet article: Alhadeff-Jones, M. (2017, avril 27). Apprentissages transformateurs et expérience de dilemmes rythmiques. Rhythmic Intelligence. http://www.rhythmicintelligence.org/blog/2017/4/27/transformative-learning-and-the-experience-of-rhythmic-dilemmas-7fs3k

Transformative learning and the experience of rhythmic dilemmas

Paterson's Land, University of Edinburgh (Photography: Michel Alhadeff-Jones, 2017)

Paterson's Land, University of Edinburgh (Photography: Michel Alhadeff-Jones, 2017)

I was recently in Edinburgh to participate to a one-day conference on Transformative Learning theory (Transformative Learning Theory and Praxis: New and Old Perspectives) organized by the Institute for Academic Development of the University of Edinburgh. From a rhythmanalytical perspective, the papers presented and the discussions that followed triggered many interesting reflections. Retrospectively, it appears to me that there was an invisible thread between most of the communications presented: being committed to foster transformative learning may bring educators and learners to experience and question specific forms of rhythmic dilemmas.

Rhythmic dissonance between different organizational cultures

I started my own communication around "The Rhythms of Transformative Learning" by sharing with the audience the "rhythmic dissonance" I experienced when I taught in the United States for the first time. As I described it elsewhere (Alhadeff-Jones, 2017, p.1):

"In 2004, when I moved to New York City and designed my first life history seminar at Columbia University, I had to adjust a process that used to be facilitated over 30 sessions [in Switzerland] to fit within a five-week period. It required me to divide the number of class hours by two. The compression – some would call it an acceleration – was not only concerning the amount of time spent with students; it was also affecting the frequency of our encounters and the learning process that was occurring between each session."

I experienced this episode as a source of dissonance for two reasons. First, because it challenged the way I used to conceive the activity of teaching in higher education in Switzerland. Second, because it confronted me to the political, economical and psycho-sociological issues raised by the requirement to 'accelerate' the learning process involved in my course.

Temporal double binds within institutional expectations

In her presentation on "High Impact Learning in Higher Education", Kris Acheson-Clair (with J.D. Dirkx and C.N. Shealy) also expressed some of the dilemmas experienced in the field of academic development. Their presentation revealed what I have identified as a "temporal double bind" (Alhadeff-Jones, 2017, p.104), that is a temporal constraint shaped by tacit contradictions. In the case presented by Acheson-Clair, on the one hand, the institution (i.e., the university) requires that training programs implemented display 'high impact learning', that is a learning that participates to the learner's transformation, mainly understood as a process that should contribute to their employability and efficiency in the tasks they have to accomplish. On the other hand, the institution requires such high impact learning to be measurable in the short term (i.e., following the training implemented, or after learning opportunities provided, such as traveling abroad). The dissonance appears embedded between two requirements (transformation and evaluation/accountability) whose temporalities are in contradictions with each other: the first one may be difficult to anticipate, as it may require a long duration to be processed by the learner; the second one is inscribed in a fixed temporality, prescribed by the organization and oriented toward the short term.

Rhythmic mismatch between the nature of the task and participants' habits

Sarah Moore in her presentation on "technology-enhanced learning" and Daphne Loads in her communication around "collaborative close readings" (based on the use of poetry and other forms of texts) in professional development, both provided examples of learning activities potentially experienced as disorienting for the participants involved (e.g., university lecturers or professors). The first one illustrated how the use of new technology by professors in higher education may be lived as a destabilizing experience. The second one illustrated how reading policy documents or academic articles, as if one was reading poetry, also constitutes a practice that potentially challenges one's assumptions about the meaning of teaching or doing research in higher education. In both case, it appeared to me that part of the dissonance that may have been experienced by participants has to do with the fact that the activity promoted (e.g., using real-time technology or exercising slow reading) appears to disrupt the usual pace associated with the professional activity (i.e., teaching or doing research). Such disruption may thus provoke anxiety (how to cope with the requirement involved in the use of new technology?) or impatience (how reading poetry may contribute to my everyday practical needs?)

The experience of rhythmic dilemmas embedded in transformative learning

Rhythmic dissonance, temporal double bind and rhythmic mismatch, represent three forms (among others) or rhythmic dilemmas. They confront educators and learners to complementary, antagonistic and contradictory temporal requirements whose complexity may appear at first as destabilizing. On the one hand, in congruence with Mezirow's transformative learning theory, one may assume that the experience of such dilemmas may trigger transformative processes. On the other hand, one has to admit that whenever such rhythmic dilemmas remain tacit or unsolvable, the contradictions they reveal may become a source of dysfunctional behaviors or frustration.

How to make rhythmic dilemmas a source of meaningful learning?

Following my presentation, a participant asked me: "What did you learn from your experience of rhythmic dissonance in the United States and how did you accommodate to it?" Such a question is crucial. Retrospectively, it seems to me that there are at least three key aspects to consider:

  1. It may be obvious, but there is at first a need to identify what kind of learning can be reasonably expected considering the timeframe of the training, and what type of learning goes beyond. Some very meaningful learning may occur almost instantaneously, when others require a sustained effort (e.g., self-reflection, dialogue). It is not always easy to determine in advance and it may become by itself a matter of discussion between the learners and the educator.

  2. It seems crucial to acknowledge the temporal limitations that characterize the learning setting, to make sure that there is no misunderstanding with participants about what can really be accomplished through the limited timeframe of the training.

  3. It is critical that the educator raises awareness around the rhythmic dilemmas that determine the setting, to draw the learners' attention around that dimension of the training.

  4. Whenever needed, it may also be necessary to consider challenging the temporal framework of the educational setting, so that it can accommodate the learning objectives that were set by the institution. This point is probably the most sensitive one, as it suggests that trainers (and learners) are willing to challenge the temporal status quo to advocate for alternative educational rhythms.

In my own experience, I sometimes use the metaphor of the vaccine to describe the learning process. Whenever the time frame of the training remains limited, my goal becomes to inoculate some ideas, knowing that whenever the learners may be willing to use them, they may be able to do a 'booster shot' later. What becomes critical then, is to make sure that there is an opportunity to sustain the dialogue with learners afterwards. So, there is very early on in the process the assumption, that learning occurs through a form of repetition that happens on a long duration. What is at stake becomes then to provide the opportunity to sustain the reflection and the dialogue beyond the formal setting of a specific training.


Cite this article: Alhadeff-Jones, M. (2017, April 27). Transformative learning and the experience of rhythmic dilemmas. Rhythmic Intelligence. http://www.rhythmicintelligence.org/blog/2017/4/27/transformative-learning-and-the-experience-of-rhythmic-dilemmas

Prévenir la violence en milieu scolaire: L’intérêt d’une approche centrée sur la prise de conscience des rythmes de l’activité

Temps et pouvoir dans les organisations

Au début de ce mois, j'ai animé un atelier à l'Université de Genève sur le thème "Temps et pouvoir dans les organisations". L'objectif de cette formation était d'amener les participants (majoritairement des directeurs/trices et des responsables d'établissements scolaires) à réfléchir de manière critique sur les dimensions temporelles de leur activité quotidienne. L'objectif principal était de les amener à prendre du recul par rapport aux conflits temporels vécus au quotidien (p.ex., le stress lié à la charge des courriels, les agendas en conflits) cela afin de l'interpréter, non seulement comme un enjeu de "gestion du temps", mais également comme l’expression de rapports de force vécus jour après jour avec les étudiants, les enseignants, les collègues et la hiérarchie. Ce faisant, l’un des enjeux de cet atelier était de démontrer en quoi ce type de tension peut se révéler être un terrain privilégier pour développer son propre pouvoir d’agir.

Faire l’expérience de contraintes temporelles

Notre discussion s'est principalement axée sur la description des expériences des participants en matière de "contraintes temporelles" (Alhadeff-Jones, 2017). L’expérience d’une contrainte temporelle suggère que l'activité d'une personne peut être vécue comme confinée, limitée, restreinte ou mise sous tension en raison de l'influence de rythmes spécifiques, tels que des rythmes physiques et naturels (p.ex., alternance jour-nuit, saisons), biologiques (par exemple, digestion, sommeil), psychologiques (p.ex., humeurs ou comportements récurrents), ou sociaux (p.ex., routines, programmes, calendriers mis en œuvre par une institution ou un groupe de personnes).

Identifier les schémas d'activité rythmiques

Alors que nous explorions les tensions temporelles vécues par ces professionnels, l'importance stratégique d'identifier des schémas rythmiques d'activité a émergé. Ainsi, notre conversation a évolué de l'identification initiale des conflits existant, par exemple entre le calendrier scolaire (août à juin), le calendrier administratif (janvier à décembre) et le calendrier politique (pluriannuel), à une analyse plus détaillée des situations impliquant des schémas d'activités régulières, comme c’est notamment le cas de certains comportements agressifs entre enfants.

Le syndrome du sapin de Noël

À un moment donné, la discussion a tourné autour de ce qu'un participant a surnommé le "syndrome du sapin de Noël", faisant référence aux tensions importantes qui apparaissent entre les enfants vers la fin de l'année et qui se traduisent souvent par des comportements violents à l'école. D'un point de vue rythmique, ce syndrome démontre les effets cumulatifs associés à des rythmes hétérogènes (physiologique, culturel, financier, scolaire et naturel-environnemental) participant à une montée en puissance spécifique vers la période de Noël :

  • Une fatigue accrue qui s'accumule à la veille des vacances ;

  • L'augmentation des tensions dans certaines familles concernant la charge économique de Noël ;

  • L’augmentation de la rivalité entre enfants à l'école concernant les attentes spécifiques en matière de cadeaux ;

  • La déception chez certains élèves qui ont obtenu de mauvais résultats à la fin de la première période de notation ;

  • Les changements climatiques (par exemple, la neige) affectant l'humeur et les comportements.

La sensibilisation de certains de ces professionnels à la récurrence de ce "syndrome" apparaît ainsi comme une étape significative pour envisager la prévention des comportements agressifs dans une perspective rythmique. Lorsqu'on les évoque, des phénomènes tels que la fatigue, les disparités économiques, les rivalités entre les enfants, les résultats scolaires ou les influences environnementales n'apparaissent pas comme des dimensions "révolutionnaires" à prendre en compte. Ils font partie de la vie quotidienne à l’école. Cependant, lorsqu'on les considère à travers leurs caractéristiques rythmiques et le fait qu'ils présentent des effets cumulatifs, ils font ressortir une autre dimension : ils s'inscrivent en effet dans une temporalité spécifique. Ce fait est conforme aux recherches existantes en chronopsychologie (p.ex., Testu, 2008), qui montrent par exemple que des comportements tels que le harcèlement évoluent selon des rythmes spécifiques.

L'anticipation et la régulation des comportements rythmiques comme stratégies de renforcement du pouvoir d’agir

Ce qui apparaît à première vue comme une caractéristique incontournable de la période de fin d'année peut également être interprété comme la conséquence d'un mouvement qui évolue dans le temps et qui peut donc être anticipé et régulé. Bien sûr, personne ne peut contrôler la pluie ou la neige, et leurs effets physiologiques sur le corps et l'état d’esprit des enfants. Les disparités économiques, l'épuisement et les dynamiques familiales semblent également hors de portée des moyens pouvant être mis en oeuvre par les professionnels en milieu scolaire. De même, la définition des périodes de notation renvoie à un agenda qui ne peut être modifié par les enseignants ou les gestionnaires. Pris séparément, chacun de ces phénomènes ne conduit pas systématiquement à l’émergence de comportements violents. La violence peut survenir lorsqu'il y a un cumul de tensions à un moment précis de l'année.

L’expérience de violences manifeste de manière très révélatrice la présence de tensions et de rapports de force à l'école. De ce point de vue, la conscience des rythmes au travers desquels les comportements violents peuvent émerger dans le temps constitue un instrument essentiel dans la gestion scolaire et le renforcement du pouvoir d’agir des personnes impliquées. Parce que ces temporalités sont connues et que leurs effets peuvent être anticipés, leur compréhension constitue une ressource clé à considérer lorsque la prévention de la violence devient un enjeu de réflexion au sein d'une organisation. Ces phénomènes peuvent ainsi devenir un sujet de d’échanges explicites et même susciter des discussions entre enseignants et élèves.

Il reste cependant encore du travail afin de concevoir les manières de promouvoir une telle prise de conscience rythmique et déterminer comment celle-ci peut s'articuler avec les autres dimensions de la vie scolaire.

Qu'en est-il de votre propre perception des rythmes vécus ?

Avez-vous conscience de schémas d'activité rythmiques qui déterminent de manière spécifique votre vie et vos responsabilités professionnelles ? Quels sont-ils ? Quand se produisent-ils ? Quels types de rythmes impliquent-ils ? Comment apprenez-vous à les anticiper ? Peuvent-ils être régulés ?

Connaissez-vous des références ou des articles faisant le lien entre le thème de la prévention de la violence et les enjeux de temporalité ?

N'hésitez pas à poster vos commentaires ci-dessous et à partager votre expérience et vos connaissances sur ce sujet.


Citer cet article: Alhadeff-Jones, M. (206, septembre 30). Prévenir la violence en milieu scolaire: L’intérêt d’une approche centrée sur la prise de conscience des rythmes de l’activité. Rhythmic Intelligence. http://www.rhythmicintelligence.org/blog/2016/9/30/preventing-school-violence-the-value-of-rhythmic-awareness-czck5

Preventing school violence: The value of raising rhythmic awareness

Time and Power in Organizations

Earlier this month, I facilitated a workshop at the University of Geneva on the theme "Time and Power in Organizations". The aim of this short training session was to bring the participants (e.g., school managers and school leaders) to critically reflect on the temporal dimensions of their everyday practice. The main goal was to bring them to take some distance with their daily conflicting experience with time (e.g., stress related to the burden of e-mails, conflicting agendas) to interpret it not only as a matter of 'time management', but also as a key expression of the power dynamics they experience on a daily basis (with students, teachers, colleagues and the hierarchy) and a locus for developing their own agency.

Experiencing temporal constraints

Our discussion was mostly based on the descriptions of participants' experience of "temporal constraints" (Alhadeff-Jones, 2017). Such an experience suggests that one's activity may be experienced as confined, bounded, restricted or put under tension due to the influence of specific rhythms, such as physical and natural ones (e.g., alternance day-night, seasons), biological ones (e.g., digestion, sleep), psychological ones (e.g., recurring moods or behaviors), or social rhythms (e.g., routines, programs, calendars implemented by an institution or a group of people).

Identifying rhythmic patterns of activity

As we were navigating the temporal tensions experienced by those professionals, the strategic importance of identifying rhythmic patterns of activity was emerging. Thus, our conversation evolved from the initial identification of conflicts existing for instance between the school calendar (August to June), the administrative calendar (January to December) and the political calendar (pluri-annual), to a more detailed analysis of situations involving regular patterns of activities, such as agressive behaviors between children.

The Christmas tree syndrome

At some point, the discussion revolved around what a participant nick-named the "Christmas tree syndrome" which he referred to the significant tensions that raise between children toward the end of the year, and often result in violent behaviors at school. From a rhythmical perspective, this syndrome demonstrates the cumulative effects associated with heterogeneous rhythms (physiological, cultural, financial, school-related, and natural-environmental) participating to a specific momentum toward the Christmas period, as experienced in school:

  • Increased tiredness building up at the eve of the vacation period;

  • Raising tensions emerging within some families regarding the economical burden of Christmas;

  • Increased rivalry between children at school regarding specific gifts expectations;

  • Disappointment among some students who received weak results at the end of the first grading period;

  • Changes in weather (e.g., snow) affecting moods and behaviors.

The awareness demonstrated by some of those professionals regarding the recurrence of this 'syndrome' constitutes a first step to envision the prevention of agressive behaviors from a rhythmic perspective. When discussed, phenomena such as tiredness, economical disparities, rivalries between children, school results, or environmental influences do not appear as 'revolutionary' dimensions to consider. They are part of the everyday life in schools. However, when considered through their rhythmic features and the fact that they display cumulative effects, they demonstrate another dimension: they are inscribed in a specific temporality. Such a fact is congruent with existing research in chronopsychology (e.g., Testu, 2008), showing for instance that behaviors such as bullying evolve through specific rhythms.

Anticipation and regulation of rhythmic behaviors as empowering strategies

What appears at first as an unavoidable feature of the end-of-the-year period can also be interpreted as the consequence of a movement that evolves through time and that can be therefore anticipated and regulated. Sure, nobody can control rain or snow, and their physiological effects on children's body and mind. Economical disparities, exhaustion and family dynamics seem also out of reach for school practitioners. Similarly, the definition of the grading periods is a matter of policy that cannot be changed by teachers or managers. Taken separately, each of those phenomena does not systematically burst into violent behaviors. Violence may occur when there is a cumul of tensions at a specific time of the year.

If the experience of violence constitutes a crucial expression of power dynamics in school, then the rhythmic awareness of how it may evolve through time constitutes a critical instrument for school management and empowerment. Because such temporalities are known and because their effects can be anticipated, their understanding constitutes a key resource to consider when violence prevention becomes a matter of reflection within an organization. They may become explicit topics of conversation and even raise discussions between teachers and students.

Work remains to be done in order to conceive how such a rhythmic awareness can be promoted and how it relates to other aspects of life in schools.

What about your own rhythmic awareness?

Are you aware of specific rhythmic patterns of activity that determine your professional life and responsibilities? What are they? When do they occur? What kinds of rhythm do they involve? How do you learn to anticipate them? Can they be regulated?

Are you aware of references or articles around the topic of violence prevention and temporality?

Feel free to post your comments below and share your experience and knowledge around this topic.


Cite this article: Alhadeff-Jones, M. (2016, September 30). Preventing school violence: The value of raising rhythmic awareness. Rhythmic Intelligence. http://www.rhythmicintelligence.org/blog/2016/9/30/preventing-school-violence-the-value-of-rhythmic-awareness