Prévenir la violence en milieu scolaire: L’intérêt d’une approche centrée sur la prise de conscience des rythmes de l’activité

Temps et pouvoir dans les organisations

Au début de ce mois, j'ai animé un atelier à l'Université de Genève sur le thème "Temps et pouvoir dans les organisations". L'objectif de cette formation était d'amener les participants (majoritairement des directeurs/trices et des responsables d'établissements scolaires) à réfléchir de manière critique sur les dimensions temporelles de leur activité quotidienne. L'objectif principal était de les amener à prendre du recul par rapport aux conflits temporels vécus au quotidien (p.ex., le stress lié à la charge des courriels, les agendas en conflits) cela afin de l'interpréter, non seulement comme un enjeu de "gestion du temps", mais également comme l’expression de rapports de force vécus jour après jour avec les étudiants, les enseignants, les collègues et la hiérarchie. Ce faisant, l’un des enjeux de cet atelier était de démontrer en quoi ce type de tension peut se révéler être un terrain privilégier pour développer son propre pouvoir d’agir.

Faire l’expérience de contraintes temporelles

Notre discussion s'est principalement axée sur la description des expériences des participants en matière de "contraintes temporelles" (Alhadeff-Jones, 2017). L’expérience d’une contrainte temporelle suggère que l'activité d'une personne peut être vécue comme confinée, limitée, restreinte ou mise sous tension en raison de l'influence de rythmes spécifiques, tels que des rythmes physiques et naturels (p.ex., alternance jour-nuit, saisons), biologiques (par exemple, digestion, sommeil), psychologiques (p.ex., humeurs ou comportements récurrents), ou sociaux (p.ex., routines, programmes, calendriers mis en œuvre par une institution ou un groupe de personnes).

Identifier les schémas d'activité rythmiques

Alors que nous explorions les tensions temporelles vécues par ces professionnels, l'importance stratégique d'identifier des schémas rythmiques d'activité a émergé. Ainsi, notre conversation a évolué de l'identification initiale des conflits existant, par exemple entre le calendrier scolaire (août à juin), le calendrier administratif (janvier à décembre) et le calendrier politique (pluriannuel), à une analyse plus détaillée des situations impliquant des schémas d'activités régulières, comme c’est notamment le cas de certains comportements agressifs entre enfants.

Le syndrome du sapin de Noël

À un moment donné, la discussion a tourné autour de ce qu'un participant a surnommé le "syndrome du sapin de Noël", faisant référence aux tensions importantes qui apparaissent entre les enfants vers la fin de l'année et qui se traduisent souvent par des comportements violents à l'école. D'un point de vue rythmique, ce syndrome démontre les effets cumulatifs associés à des rythmes hétérogènes (physiologique, culturel, financier, scolaire et naturel-environnemental) participant à une montée en puissance spécifique vers la période de Noël :

  • Une fatigue accrue qui s'accumule à la veille des vacances ;

  • L'augmentation des tensions dans certaines familles concernant la charge économique de Noël ;

  • L’augmentation de la rivalité entre enfants à l'école concernant les attentes spécifiques en matière de cadeaux ;

  • La déception chez certains élèves qui ont obtenu de mauvais résultats à la fin de la première période de notation ;

  • Les changements climatiques (par exemple, la neige) affectant l'humeur et les comportements.

La sensibilisation de certains de ces professionnels à la récurrence de ce "syndrome" apparaît ainsi comme une étape significative pour envisager la prévention des comportements agressifs dans une perspective rythmique. Lorsqu'on les évoque, des phénomènes tels que la fatigue, les disparités économiques, les rivalités entre les enfants, les résultats scolaires ou les influences environnementales n'apparaissent pas comme des dimensions "révolutionnaires" à prendre en compte. Ils font partie de la vie quotidienne à l’école. Cependant, lorsqu'on les considère à travers leurs caractéristiques rythmiques et le fait qu'ils présentent des effets cumulatifs, ils font ressortir une autre dimension : ils s'inscrivent en effet dans une temporalité spécifique. Ce fait est conforme aux recherches existantes en chronopsychologie (p.ex., Testu, 2008), qui montrent par exemple que des comportements tels que le harcèlement évoluent selon des rythmes spécifiques.

L'anticipation et la régulation des comportements rythmiques comme stratégies de renforcement du pouvoir d’agir

Ce qui apparaît à première vue comme une caractéristique incontournable de la période de fin d'année peut également être interprété comme la conséquence d'un mouvement qui évolue dans le temps et qui peut donc être anticipé et régulé. Bien sûr, personne ne peut contrôler la pluie ou la neige, et leurs effets physiologiques sur le corps et l'état d’esprit des enfants. Les disparités économiques, l'épuisement et les dynamiques familiales semblent également hors de portée des moyens pouvant être mis en oeuvre par les professionnels en milieu scolaire. De même, la définition des périodes de notation renvoie à un agenda qui ne peut être modifié par les enseignants ou les gestionnaires. Pris séparément, chacun de ces phénomènes ne conduit pas systématiquement à l’émergence de comportements violents. La violence peut survenir lorsqu'il y a un cumul de tensions à un moment précis de l'année.

L’expérience de violences manifeste de manière très révélatrice la présence de tensions et de rapports de force à l'école. De ce point de vue, la conscience des rythmes au travers desquels les comportements violents peuvent émerger dans le temps constitue un instrument essentiel dans la gestion scolaire et le renforcement du pouvoir d’agir des personnes impliquées. Parce que ces temporalités sont connues et que leurs effets peuvent être anticipés, leur compréhension constitue une ressource clé à considérer lorsque la prévention de la violence devient un enjeu de réflexion au sein d'une organisation. Ces phénomènes peuvent ainsi devenir un sujet de d’échanges explicites et même susciter des discussions entre enseignants et élèves.

Il reste cependant encore du travail afin de concevoir les manières de promouvoir une telle prise de conscience rythmique et déterminer comment celle-ci peut s'articuler avec les autres dimensions de la vie scolaire.

Qu'en est-il de votre propre perception des rythmes vécus ?

Avez-vous conscience de schémas d'activité rythmiques qui déterminent de manière spécifique votre vie et vos responsabilités professionnelles ? Quels sont-ils ? Quand se produisent-ils ? Quels types de rythmes impliquent-ils ? Comment apprenez-vous à les anticiper ? Peuvent-ils être régulés ?

Connaissez-vous des références ou des articles faisant le lien entre le thème de la prévention de la violence et les enjeux de temporalité ?

N'hésitez pas à poster vos commentaires ci-dessous et à partager votre expérience et vos connaissances sur ce sujet.


Citer cet article: Alhadeff-Jones, M. (206, septembre 30). Prévenir la violence en milieu scolaire: L’intérêt d’une approche centrée sur la prise de conscience des rythmes de l’activité. Rhythmic Intelligence. http://www.rhythmicintelligence.org/blog/2016/9/30/preventing-school-violence-the-value-of-rhythmic-awareness-czck5