L'Intelligence rythmique comme forme spécifique d'intelligence

thousand of lights.jpeg

Le terme « intelligence » est emprunté au latin intellegentia qui évoque l’action ou la faculté de connaître, de comprendre, l’entendement. Le terme dérive de intellegere (-inter « entre » et -legere « cueillir, rassembler ») qui renvoie à la capacité de l’esprit de choisir, d’apprécier et de comprendre (Rey, 2000, p.1855). C’est dans ce sens que le terme est aujourd’hui utilisé pour évoquer la capacité d’organiser une compréhension du réel et l’aptitude qui permet d’adapter le déroulement d’une action. Le mot renvoie également à une seconde signification qui évoque une relation complice, plus ou moins secrète, d’entente avec une autre personne ou une chose (ibid.) On évoque ainsi le fait d’être en intelligence avec une personne proche ou avec la nature. Sur la base de ces significations, les sections suivantes explorent le recours au terme d’intelligence pour envisager les modalités de compréhension et de régulation de phénomènes rythmiques, vécus ou observés.

Une capacité d’appréhender l’organisation du réel en pensées ou en actes

Le sens attribué au mot « intelligence » en philosophie, puis en psychologie à partir du XIXème siècle, suggère d’envisager les phénomènes qu’elle évoque comme étant rattachés à une fonction mentale d’organisation du réel en pensées ou en actes. Le terme renvoie ainsi chez l’être humain à l’« ensemble des fonctions psychiques et psycho-physiologiques concourant à la connaissance, à la compréhension de la nature des choses et de la signification des faits… ». Il suggère également une aptitude à la connaissance, le développement de capacités intellectuelles ou l’acte de comprendre avec aisance ou d’avoir une connaissance approfondie de quelque chose (Trésor de la Langue Française Informatisé, 2021, para. I.A.)  En ce sens, la notion d’intelligence rythmique évoque la capacité de connaître, de comprendre et de se représenter les dimensions rythmiques inhérentes à tout phénomène organisé, vécu ou observé. Néanmoins, reconnaître la dimension mentale d’une forme d’intelligence ne présuppose pas qu’elle se réduit à des processus psychologiques individuels. Comme cela ressort à travers la notion d’intelligence collective, la capacité de compréhension des phénomènes rythmiques peut également émerger de processus d’élaboration partagés, supposant l’engagement de plusieurs personnes dans la compréhension d’un phénomène qui serait difficile à appréhender individuellement. Par ailleurs, l’intelligence rythmique ne se réduit pas non plus au traitement de représentations strictement discursives (langage) ou logiques (déduction). Il convient également de l’envisager, en congruence avec les travaux sur les intelligences multiples (Gardner, 1983), à travers différentes modalités d’appréhension concrètes ou symboliques du réel, telles que celles qui s’expriment par la musique, dans l’espace, par le mouvement, sur le plan affectif ou relationnel.

Une aptitude qui permet l’adaptation aux exigences d’une action située

Comme l’évoque la définition du terme, l’intelligence renvoie non seulement à une capacité de penser, mais également à la « fonction mentale d’organisation du réel en actes ». Il suggère ainsi « [l’]aptitude à appréhender et organiser les données de la situation, à mettre en relation les procédés à employer avec le but à atteindre, à choisir les moyens ou à découvrir les solutions originales qui permettent l'adaptation aux exigences de l'action. » (Trésor de la Langue Française Informatisé, 2021, para. I.B). Dans le sens courant, le terme évoque ainsi « [l’] habileté à tirer parti des circonstances, ingéniosité et efficacité dans la conduite de son activité. » En ce sens, l’intelligence rythmique, comme d’autres formes d’intelligence, renvoie à une capacité d’adaptation et de résolution de problèmes qui implique non seulement « science et conscience » (Morin & Le Moigne, 1999), connaissance et réflexivité, mais également une capacité à sentir et à agir, de façon à influer sur les rythmes qui composent les environnements physiques, vivants et humains, dans lesquels elle s’exerce, de manière délibérée, stratégique et critique. La notion d’intelligence rythmique peut ainsi être envisagée à partir des travaux sur la « pensée complexe » élaborés par Morin (1990) et sur « l’intelligence de la complexité » évoquée par Morin et Le Moigne (1999). Dans cette optique, on peut la concevoir comme une capacité de reliance qui s’exerce de manière délibérée et pragmatique dans un environnement donné, reposant sur l’exploration et la mise en relation des dynamiques et des processus à travers lesquels s’organisent des phénomènes identifiés comme complexes, tout en entretenant une conscience critique des limites propres à l’entendement humain. 

Une capacité de s’entendre, de se comprendre et d’être en harmonie et avec autrui et avec le monde environnant 

Le terme d’intelligence évoque finalement les relations d'entente qui s’établissent entre des personnes qui se connaissent et se comprennent. Le mot évoque ainsi « [l’] action de s’entendre, de se comprendre [ou le] résultat de cette action » (Trésor de la Langue Française Informatisé, 2021, para. II). Il renvoie à des formes d’accord ou d’entente tacites, avec des personnes ou des choses, qui peuvent suggérer une forme de connivence, ou d’harmonie. Sous cet angle, l’intelligence rythmique peut être envisagée comme le moyen ou le produit d’un processus organisé, et donc rythmé, d’entente et de compréhension réciproque qui participerait au développement ou à l’entretien de relations privilégiées avec autrui. De même, elle suggère une capacité d’entrer en résonance, via des processus de synchronisation, avec des phénomènes, naturels ou sociaux, susceptibles d’accroître la qualité et la compréhension de l’expérience vécue.

L’intelligence rythmique: Essai de définition

Sur la base de ces éléments, on peut envisager la notion d’intelligence rythmique, comme une fonction reposant sur la capacité, individuelle et collective, à connaître, comprendre et se représenter les dimensions rythmiques, inhérentes à tout phénomène organisé, observé ou vécu. Elle implique des modalités d’appréhension concrètes ou symboliques du réel, qui intègrent et dépassent les aspects discursifs et logiques. L’intelligence rythmique suppose également une capacité d’adaptation et de résolution de problèmes qui implique une capacité à sentir et à agir, de façon à influer sur les rythmes qui composent les environnements physiques, vivants et humains dans lesquels elle s’exerce, de manière délibérée, stratégique et critique. Elle renvoie plus fondamentalement à une capacité de mise en lien qui explore et établit la nature des dynamiques et des processus à travers lesquels s’organisent des phénomènes rythmiques, identifiés comme complexes, tout en entretenant une conscience critique des limites propres à l’entendement humain. Finalement, l’intelligence rythmique peut être envisagée à travers la fonction qu’elle remplit dans le développement de relations privilégiées au sein d’un environnement donné. Elle suppose ainsi une capacité d’entrer en résonance avec autrui et avec des phénomènes naturels ou sociaux, susceptibles d’accroître la qualité et la compréhension de l’expérience vécue.

Références

Gardner, H. (1983). Frames of mind. New York: Basic Books.

Rey, A. (Ed.). (2000). Intelligence. In Le Robert - Dictionnaire historique de la langue française (pp.1855-1856). Paris.

Trésor de la Langue Française Informatisé (2021). Intelligence. Accédé le 25.1.2021 à l’adresse: http://atilf.atilf.fr/tlf.htm

Morin, E. (1990). Introduction à la pensée complexe. Paris: ESF.

Morin, E., & Le Moigne, J.-L. (1999). L’Intelligence de la complexité. Paris: L’Harmattan.


Citer cet article: Alhadeff-Jones, M. (2021, février 22). L'Intelligence rythmique comme forme spécifique d'intelligence. Rhythmic Intelligence. http://www.rhythmicintelligence.org/blog/2021/2/22/def-intelligence-rythmique