Emergence de la rythmanalyse

Gaston Bachelard (1884-1962) (source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_Bachelard)

Gaston Bachelard (1884-1962) (source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_Bachelard)

Le terme "rythmanalyse" a été introduit pour la première fois par Lúcio Alberto Pinheiro dos Santos (1931, cité in Bachelard, 1950), un philosophe brésilien dont les écrits inaccessibles sont restés largement méconnus. Toutefois, c'est principalement à travers les travaux des philosophes français Gaston Bachelard, et plus tard Henri Lefebvre, que la notion s'est développée.

[La section suivante est adaptée de Alhadeff-Jones, 2017, pp. 180-181].

Inspiré par les découvertes de la physique au tournant du XXe siècle, Bachelard développe une théorie du sujet privilégiant sa nature " ondulatoire". À l'instar d'un photon ou d'une substance chimique, il conçoit le sujet comme un être temporel qui "vibre ", situant l'expérience de la discontinuité en son cœur (p.ex., le temps divisé de ses actions et le temps fragmenté de sa conscience).

Pour Bachelard, l'expérience de la discontinuité constitue le moyen privilégié d'accéder à la compréhension du temps. Si le parcours de vie d’une personne est fondamentalement fragmenté, le rythme est conçu comme ce qui articule la discontinuité des instants vécus (Sauvanet, 2000, p. 110). Pour lui, le sentiment de continuité qu'éprouvent les humains est une construction établie a posteriori. Selon la philosophie de Bachelard, le temps est ressenti à travers l'expérience des rythmes comme une organisation souple et subjective des instants vécus.

Selon Bachelard, l'expérience du temps n'est pas fondée sur la mesure de changements objectifs, tels que ceux symbolisés par une horloge ou un calendrier. Elle émerge de la capacité humaine à mettre en relation des instants successifs et discontinus de sa vie. Le sentiment d'éprouver une forme de continuité tout au long de l’existence est une construction et, en tant que tel, il nécessite de prendre en considération les tensions vécues au quotidien. Ainsi, l'évolution du moi est conçue comme "ondulatoire", comme un tissu fait de tensions (tels que succès et erreurs, oubli et souvenir) (Bachelard, 1950, p. 142).

Ainsi, la rythmanalyse vise à trouver des "motifs de dualité" (Bachelard, 1950, p. 141) pour que l'esprit les équilibre au-delà d'une logique dualiste. Ce faisant, elle peut être porteuse d’effets apaisants. La rythmanalyse de Bachelard vise ainsi à nous libérer des agitations contingentes à travers l'analyse des temporalités vécues et le choix délibéré des rythmes vécus. Comme le souligne Sauvanet (2000, p. 107), elle n'implique pas pour Bachelard une relation entre un analyste et un patient ; elle requiert une forme de solitude à travers laquelle le sujet s'auto-analyse grâce à l'utilisation de médias, tels que les œuvres littéraires, qui l’aident à symboliser et à interpréter sa propre expérience.

Si Bachelard a été le premier à considérer le rythme comme un concept philosophique, son approche reste néanmoins majoritairement métaphorique (Sauvanet, 2000, p. 100). Son principal apport réside dans le fait qu’il esquisse un cadre éthique et formule des intuitions précieuses quant au rôle joué par l'introspection dans l'expérience rythmique. Comme il ne l'a jamais formalisée, la rythmanalyse de Bachelard n'est pas une théorie en soi ; elle doit plutôt être conçue comme un "exercice créatif" (Sauvanet, 2000, p. 101). La puissance de ses intuitions repose sur l'hypothèse selon laquelle l'unicité du sujet exige un travail continu d'élaboration qui organise de manière délibérée les instants vécus en rythmes afin de tolérer et d'organiser - plutôt que de réduire - les tensions et les contradictions dont ils peuvent être porteurs.

Poursuivre l'intuition de Bachelard

Si l'on considère le développement de la rythmanalyse en tant que méthode, l'accent mis sur les "motifs de dualité" expérimentés dans la vie quotidienne, ainsi que tout au long de la vie, semble critique pour toute démarche d’analyse. Concrètement, cela suggère de prêter attention aux alternances qui se forment entre différentes activités, états d'esprit, dispositions, humeurs, émotions, et les relations mutuelles qu’ils sont susceptibles d’entretenir au fil du temps. Des rythmes émergent à travers la reconnaissance des patterns qui relient ces expériences les unes aux autres. D'un point de vue éducationnel, le défi méthodologique semble donc être d'établir comment quelqu'un peut apprendre à identifier de tels schémas, quelles ressources sont nécessaires pour y parvenir et comment une telle capacité peut être promue.


Citer cet article: Alhadeff-Jones, M. (2016, novembre 1). Emergence de la rythmanalyse. Rhythmic Intelligence. http://www.rhythmicintelligence.org/blog/2016/16/1/the-emergence-of-rhythmanalysis-skma8