rhythmology / rythmologie

Approche rythmologique et intelligence rythmique

Sybil Andrews, The Winch, 1930 (Source: https://www.british-arts.com/artists/sybil-andrews/)

Sybil Andrews, The Winch, 1930 (Source: https://www.british-arts.com/artists/sybil-andrews/)

L’intelligence rythmique présuppose un mode d’appréhension du réel qui place l’accent sur les rythmes qui sont constitutifs des phénomènes vécus ou observés. De ce point de vue, elle traduit un regard spécifique que l’on pourrait qualifier de « rythmologique ». Dans la mesure où l’expérience de phénomènes rythmiques permet de décrire et de rendre compte de manière intuitive de la façon dont le temps, l’espace et les changements sont vécus, autant d’un point de vue existentiel que dans les aspects les plus mondains de la vie quotidienne, le concept de rythme constitue une entrée privilégiée pour appréhender la fluidité du réel (Alhadeff-Jones, 2018b, p.24):

Le concept de rythme se révèle d’autant plus pertinent qu’il est un concept nomade qui s’est déployé, au fil de l’histoire des idées, dans différentes disciplines (Michon, 2005, 2017; Sauvanet, 1999, 2000). Appréhendé à partir de son étymologie et de l’usage qui en a été fait dans la philosophie grecque d’Archiloque à Aristoxène, le concept de rythme renvoie d’emblée à une tension critique entre ordre et mouvement, substance et flux. Comme le relève Sauvanet (1999, p.6), le rhuthmos grec évoque tantôt la forme que prend une chose dans le temps, tantôt la forme telle qu’elle est transformée par le temps. Renvoyant à une « configuration changeante » ou une « forme fluide », le concept de rythme permet ainsi d’évoquer un ordre évolutif sans le réduire, ni à une substance, ni à un flux dénué de forme.

Comment dès lors concevoir des phénomènes perçus ou vécus, à partir des « formes en mouvement » qui en sont constitutives (Alhadeff-Jones, 2018b, p.24) ?

Pour Sauvanet (2000), l’étude de phénomènes rythmiques suppose de mettre en évidence les «patterns» qui les structurent, les « périodicités » à partir desquelles ces motifs se répètent, et le « mouvement » singulier qui les caractérisent, avec ses variations et ses discontinuités. Pour Michon (2005), dans une perspective anthropologique, l’étude des phénomènes rythmiques suppose d’étudier les « manières de fluer » prises par le langage, les corps, les interactions sociales, ainsi que leurs contributions aux processus d’individuation et aux rapports de force qu’ils traduisent.

En croisant ces approches (Alhadeff-Jones, 2017, 2018a), on dispose d’une première matrice pour aborder certains des rythmes qui caractérisent des phénomènes organisés (Alhadeff-Jones, 2018b, p.24):

On peut ainsi chercher à rendre compte des patterns qui sont constitutifs des discours, des gestes et des interactions sociales autour desquels [ils] s’organise[nt]. On peut explorer leur périodicité, c’est-à-dire les modalités de répétition à travers lesquels ces patterns se reproduisent, en s’intéressant à leur fréquence, à leur période et au tempo qui les caractérisent. On peut finalement appréhender ce qui singularise leur développement, en s’intéressant aux variations observées ou vécues, tels que les interruptions, les événements, les crises, ou les accidents, à travers lesquels les rythmes [caractéristiques des phénomènes observés] se transforment et se renouvellent.

Approche rythmologique et intelligence rythmique

Sur la base de ces éléments, et en reprenant la définition de l’intelligence rythmique proposée ici, on peut désormais envisager de manière synthétique une reformulation de ce que cette notion implique d’un point de vue rythmologique. L’intelligence rythmique mobilise une capacité, individuelle et collective, à connaître, comprendre et se représenter (1) les patterns qui sont constitutifs des manières de sentir, des comportements, des discours, des gestes, des traces ou des interactions inhérents à tout phénomène organisé, observé ou vécu; (2) les modalités à travers lesquelles ces manières de sentir, comportements, discours, gestes, traces ou interactions se répètent au fil du temps; ainsi que (3) les variations et les discontinuités qui affectent leur évolution en révélant la singularité de ces manières de fluer. De même, l’intelligence rythmique suppose une capacité d’adaptation et de résolution de problèmes, à la fois délibérée, stratégique et critique, qui repose sur la capacité à influer sur l’évolution des patterns, des périodicités et des mouvements qui caractérisent les manières de sentir, comportements, discours, gestes, traces ou interactions observés ou vécus. Ce faisant, l’exercice d’une intelligence rythmique est susceptible de contribuer au développement de relations privilégiées au sein d’un environnement donné, reposant sur la capacité à renforcer des phénomènes de résonance impliquant la (ré)organisation des relations qui s’établissent entre les patterns, les périodicités et les mouvements caractéristiques des manières de fluer, observées ou vécues.

Références

Alhadeff-Jones, M. (2017). Time and the rhythms of emancipatory education. Rethinking the temporal complexity of self and society. London: Routledge.

Alhadeff-Jones, M. (2018a). Concevoir les rythmes de la formation : entre fluidité, répétition et discontinuité. In P. Maubant, C. Biasin & P. Roquet (Eds.) Les Temps heureux des apprentissages (pp.17-44). Nîmes, France: Champ Social.

Alhadeff-Jones, M. (2018b). Pour une approche rythmologique de la formation. Education Permanente, 217, 21-32.

Michon, P. (2005). Rythmes, pouvoir, mondialisation. Paris : Presses Universitaires de France. 

Michon, P. (2017). Elements of rhythmology (Vol. 1 & 2). Paris: Rhuthmos. 

Sauvanet, P. (1999). Le rythme grec d’Héraclite à Aristote. Paris : Presses Universitaires de France.

Sauvanet, P. (2000). Le rythme et la raison (2 vol.) Paris : Kimé.


Citer cet article: Alhadeff-Jones, M. (2021, mars 8). Approche rythmologique et intelligence rythmique. Rhythmic Intelligence. http://www.rhythmicintelligence.org/blog/2021/3/8/approche-rythmologique-et-intelligence-rythmique

Rhythmological approach and rhythmic intelligence

Sybil Andrews, The Winch, 1930 (Source: https://www.british-arts.com/artists/sybil-andrews/)

Sybil Andrews, The Winch, 1930 (Source: https://www.british-arts.com/artists/sybil-andrews/)

Rhythmic intelligence presupposes a mode of apprehension of reality which places the emphasis on the rhythmic features that organize lived or observed phenomena. From this point of view, it involves a sensibility that characterizes a « rhythmological » approach. Since the experience of rhythmic phenomena makes it possible to describe and account intuitively for the way time, space and changes are experienced, both from an existential point of view and in the most mundane aspects of daily life, the concept of rhythm is a privileged entry point for envisioning the fluidity of reality (Alhadeff-Jones, 2018b, p.24, my translation):

The concept of rhythm is all the more relevant because it is a nomadic concept that has been deployed, throughout the history of ideas, in various disciplines (Michon, 2005, 2017; Sauvanet, 1999, 2000). Apprehended based on its etymology and the use that has been made of it in Greek philosophy from Archiloque to Aristoxen, the concept of rhythm refers to a critical tension between order and movement, substance and flow. As Sauvanet (1999, p.6) points out, the Greek rhuthmos evokes both the form that a thing takes in time and the form as it is transformed through time. Referring to a « changing configuration » or a « fluid form », the concept of rhythm thus makes it possible to evoke an evolving order without reducing it to a substance or a formless flow.

How then can we envision perceived or lived phenomena based on the « moving forms » that constitute them (Alhadeff-Jones, 2018b, p.24, my translation) ? 

For Sauvanet (2000), the study of rhythmic phenomena supposes to highlight the « patterns » that structure them, the « periodicities » through which these patterns are repeated, and the singular « movement » that characterizes them, with its variations and discontinuities. For Michon (2005), privileging an anthropological lens, the study of rhythmic phenomena implies studying the « ways of flowing » taken by language, bodies and social interactions, as well as their contributions to the processes of individuation and the power relations they translate. 

By crossing these approaches (Alhadeff-Jones, 2017, 2018a), we obtain a first matrix to study some of the rhythms that characterize organized phenomena (Alhadeff-Jones, 2018b, p.24, my translation):

We can thus try to describe the patterns that are constitutive of the discourse, gestures and social interactions around which [they are] organized. We can explore their periodicity, i.e. the modalities of repetition through which these patterns are reproduced, by looking at their frequency, their period and the tempo that characterize them. Finally, we can understand what makes their development unique, by looking at the variations observed or experienced, such as interruptions, events, crises, or accidents, through which the rhythms [that characterize observed phenomena] are transformed and renewed.

Rhythmological approach and rhythmic intelligence

Based on these elements, and by taking up the definition of rhythmic intelligence proposed here, we can now envisage in a synthetic way a reformulation of what this notion implies from a rhythmological point of view. Rhythmic intelligence mobilizes an individual and collective capacity to know, understand and represent (1) the patterns which are constitutive of the ways of feeling, behaviors, speech, gestures, traces or interactions inherent to any organized, observed or experienced phenomenon; (2) the modalities through which these ways of feeling, behaviors, speech, gestures, traces or interactions are repeated over time; as well as (3) the variations and discontinuities which affect their evolution by revealing the singularity of these ways of flowing. Similarly, rhythmic intelligence implies a deliberate, strategic and critical capacity for adaptation and problem-solving, based on the ability to influence the evolution of patterns, periodicities and movements that characterize the observed or experienced ways of feeling, behaviour, speech, gestures, traces or interactions. In doing so, the exercise of rhythmic intelligence may contribute to the development of privileged relationships within a given environment, founded on the capacity to reinforce resonance phenomena involving the (re)organization of the relationships established between the patterns, periodicities and movements characteristic of the ways of flowing, observed or experienced.

References

Alhadeff-Jones, M. (2017). Time and the rhythms of emancipatory education. Rethinking the temporal complexity of self and society. London: Routledge.

Alhadeff-Jones, M. (2018a). Concevoir les rythmes de la formation : entre fluidité, répétition et discontinuité. In P. Maubant, C. Biasin & P. Roquet (Eds.) Les Temps heureux des apprentissages (pp.17-44). Nîmes, France: Champ Social.

Alhadeff-Jones, M. (2018b). Pour une approche rythmologique de la formation. Education Permanente, 217, 21-32.

Michon, P. (2005). Rythmes, pouvoir, mondialisation. Paris : Presses Universitaires de France. 

Michon, P. (2017). Elements of rhythmology (Vol. 1 & 2). Paris: Rhuthmos. 

Sauvanet, P. (1999). Le rythme grec d’Héraclite à Aristote. Paris : Presses Universitaires de France.

Sauvanet, P. (2000). Le rythme et la raison (2 vol.) Paris : Kimé.


Cite this article: Alhadeff-Jones, M. (2021, March 8). Rhythmological approach and rhythmic intelligence. Rhythmic Intelligence. http://www.rhythmicintelligence.org/blog/2021/3/8/rhythmological-approach-and-rhythmic-intelligence